Lapicque et le tennis (Lapicque and tennis)

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Charles Lapicque était un bon joueur de tennis. Je vous laisse lire cette analyse extrèmement fine de la représentation du tennis dans les oeuvres de Charles Lapicque. Ecrite par le Dr. Lionel Fabre, grand amateur de Lapicque et lui même joueur émérite, elle vous éclairera sur la subtilité dont Charles usait quand il peignait le tennis.
Charles Lapicque was a fairly good tennis player. Please read this very sharp analysis of tennis representation in Lapicque's works. Written by Lionel fabre, who is a major Lapicque's fan as well as a excellent tennis player, this text will make you touch the subtility of Lapicque's way of painting tennis. English version coming soon.


La représentation "lapicquienne" du tennis

Lapicque s'est pris de passion pour le tennis vers 1930 et a pratiqué ce jeu d'une manière quasi-continue jusqu'à un âge avancé. Dans les années 30, il joue l'été sur le court des Joliot-Curie à l'Arcouest. Deux de ses fils Georges et François joueront aussi d'une manière assidue. Georges est notamment l'auteur d'un opuscule présentant le tennis et le hasard.
Lapicque avait sans doute projeté depuis longtemps de faire une série sur le tennis mais il cherchait une manière « lapicquienne » de représenter ce thème.
La photographie a saisi de nombreux instantanés de champions et championnes mais n'oublions pas que pour Lapicque, « la notion de durée », centrale dans la philosophie de Bergson et dans l'œuvre plastique de Lapicque, est la saisie immédiate par la conscience qui est mémoire, d'un temps qui s'écoule et qui est une création continue d'imprévisible nouveauté.

« La peinture comme le souvenir décante le réel, elle le recrée en lui incorporant tout un passé » Maryvonne Georget

Lapicque se trouve donc devant les problèmes suivants :
Suggérer plusieurs phases d'un même geste du même joueur sans multiplier les bras et les jambes à la manière du Futurisme. Lapicque, étant joueur lui-même, le postulat suivant à considérer est que c'est l'expérience sportive qui est transmise et non le simple spectacle visuel. Enfin, il faut que l'art provoque une sensation au moins aussi intense que celle produite par le fait qui fut à l'origine de la création.
Dans les années 50, nous savons qu'une des caractéristiques du langage « lapicquien » en ce qui concerne les recherches d'expression de l'espace, c'est la représentation exigeant du spectateur qu'il s'élève et s'abaisse tour à tour au cours de son investigation de la peinture. Si ce monde de représentation par le cloisonnement trouve son origine dans les Arts Médiévaux, on en découvre une variante dans les faïences de Rouen étudiées par Lapicque au Musée des Arts Décoratifs de Paris.
Lapicque a étudié ce découpage de l'espace et en fait l'interprétation suivante:
Il semble bien que le spectateur soit appelé à changer de point de vue lorsqu'il déplace le regard de la gauche vers la droite en passant par le centre de l'image comme si on lui demandait de s'élever dans les airs pour assister d'en haut à la scène se développant sur l'espace aquatique. Il en résulte pour l'observateur une impression de mouvement (qu'il opère lui-même).

Pour parvenir à véritablement suggérer le mouvement*, Lapicque a eu recours, en plus du cloisonnement, aux perspectives multiples. Dans la série du tennis, on peut parler aussi de perspectives subjectives car les composantes affectives et imaginaires sont au moins aussi importantes que les composantes strictement visuelles. L'action est traduite non pas seulement comme elle se voit mais aussi comme elle se ressent .

En 1965 Lapicque entrevoit la solution du « problème tennistique » :

Elle passe par la contre forme.
Le procédé des contre formes (que les futuristes avaient déjà exploité) apparaît comme un moyen judicieux d'expression renforcé du mouvement: La forme blanche unique du personnage sera sertie de contre formes rouge grenat (ou jaunes, voir ci-contre) qui exprimeront l'élan du corps dans son explosivité sans détruire son unité. De plus, l'importance en taille plus marquée de deux joueurs et leur contre forme sont la marque du vécu de Lapicque lorsqu'il se trouve au bord du court. N'oublions pas en effet que Lapicque, dans les années 60 a fréquenté assidûment Roland Garros. A cette époque, le public peu nombreux, pouvait souvent se placer contre la lisse du bord du court. Tout amateur de tennis ayant fait cette expérience a ressenti une impression de puissance et d'explosivité telles que l'on a effectivement l'impression d'assister à un match de surhommes, de géants. C'est remarquablement représenté par Lapicque.

 

Le procédé du cloisonnement permet ainsi à Lapicque de suggérer différents parcours. L'éventail des points de vue, les plongées vers le centre, créent des lignes de forces ou plutôt des parcours de tension suggérant l'aller et retour de la balle. Libre au spectateur de créer son propre scénario de la partie ainsi suggérée : Service, retour revers, attaque coup droit, retour passing, volée gagnante ! (voir les coups du tennis)

Par les diverses positions des joueurs, des balles, des raquettes, Lapicque nous invite à recréer des phases de jeu. Un autre procédé concourt à rendre le mouvement : « faire jouer à la couleur un rôle d'accompagnement, de contrepoint par rapport au dessin, un peu comme dans la musique ou la basse vient parfois apporter à telle partie de la mélodie une sorte de souvenir du thème précédent. A la manière aussi rappelons-le, dont notre regard, tout en suivant dans la vie, les différentes positions d'un corps en mouvement, conserve par la mémoire immédiate dans une suite de traînée, de phosphorescence, l' image psychique des positions antérieures» Essais p.195.

Le tennis, toile du usée de Troyes
Analyse de la transcription du mouvement sur le geste du service.

La série sur le tennis comprend principalement 12 toiles plus particulièrement axées sur des parties à Roland Garros. Dans notre ballade visuelle nous reconnaissons les juges de ligne et leur canotier sommeillant plus ou moins après le repas de midi, des gradins vides, des spectateurs par grappes, scènes de quiétude qui contrastent avec les phases d'énergie et d'explosivité des grandes contre formes.

A l'inverse d'autres thèmes ou Lapicque procédait par de subtiles transitions pour passer d'un monde à l'autre, pour les relier par la pensée (par ex : La mort de Pompée), dans la série du tennis, Lapicque procède par rupture. Ceci permet de mieux suggérer la différence de tension.

 

Aussi cette série sur le tennis est une des séries majeures de Lapicque qui lui a permis d'exposer sa vision picturale de la notion de « durée Bergsonniène » tout en obéissant au principe du cloisonnement et de la fragmentation de l'espace: joueurs, court, feuillages et ciels sont des compartiments d'espaces
«juxtaposés».

Il ne se forme pas un espace continu mais un espace hétérogène, syncopé, morcelé de ruptures. Le passé, l'imaginaire et le présent s'entremêlent mais avec l'expression de la cassure que provoque dans le tissu du temps l'explosion d'un service ou d'un smash.

Joueuses et joueurs, laissez votre imaginaire vagabonder et bonnes parties !

* « La peinture ne cherche pas le dehors du mouvement mais ses chiffres secrets. » Merleau-Ponty
voir aussi :
Lapicque et son atelier
Lapicque et la mer
Lapicque et la musique
  Dr. Lionel Fabre, membre du comité éditorial
© Tous droits réservés 2008

 

NOTA : Le Docteur Lionel Fabre, Chirurgien-dentiste, grand connaisseur de l'oeuvre du peintre, est lui-même joueur de haut niveau au niveau vétéran. S'intéressant depuis longtemps à la vision "lapicquienne" du tennis, il a notamment mis sur le site de la FFT, quelques pages sur l'ouvrage de Georges Lapicque sur le hasard dans le tennis.

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