LAPICQUE ET SON ATELIER
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Entrons un moment dans l'intimité de Charles Lapicque, au 4 rue Froidevaux, grâce à un magnifique texte écrit par son fils ainé Georges en janvier 2007.
Let's enter Charles Lapicque's intimity for a short moment, in his parisian workshop, due to a beautiful text, written by his elder son Georges, in January 2007.
English version coming soon.
L'ATELIER PARISIEN DE CHARLES LAPICQUE

Cette plaque (ci-contre), érigée par La mémoire des Lieux sur le mur de l'immeuble, au numéro 4 de la rue Froidevaux (Paris 14ème), rappelle au passant que le peintre a vécu là l'essentiel de sa vie et y a créé la quasi-totalité de son œuvre. Encore avait-il fallu que l'illustre mathématicien Emile Borel, futur Ministre de la Marine eût su profiter de la chute des prix des constructions survolées par les obus de la « grosse Berta » pendant la guerre de quatorze pour acheter plusieurs étages, en s'abritant « sous la voûte solide du calcul des probabilités ». Le destin en faisait aussi l'ami de Jean Perrin, et faisait en sorte que celui-ci fût le beau-père de Charles Lapicque, s'arrangeant pour qu'il eût ce fameux prix Nobel de physique qui lui permettrait, en 1927, non seulement de construire sa maison bretonne, mais d'acheter pour ses enfants, Aline et Francis, deux étages (respectivement au 4 ième et au 6 ième ).

 

Voir aussi : la vie au 4 rue Froidevaux (souvenirs)

.C'est donc en 1927 que Charles, Aline et leurs trois enfants Georges, François et Denis quittaient le petit appartement du Bd. Port Royal (face à la gare) pour aménager dans ces lieux privilégiés. Les enfants, cela était normal, étaient destinés à partir, même en revenant souvent y séjourner, mais les parents allaient y passer leur vie.
Pour des raisons financières (sans doute), ils ne devaient habiter, jusqu'à la guerre, que l'appartement de gauche sur le palier. Cela ne semble pas avoir été un handicap pour la peinture. En effet, on se souvient que la crise de 1929 avait rapidement conduit Charles à abandonner sa nouvelle carrière pour accepter l'aide de Jean Perrin de préparer une thèse de sciences (qui portera sur l'œil et la vision des couleurs). Cette thèse, puis ses travaux de préparateur de Maurice Curie au P.C.B (Institut de Physique-Chimie-Biologie) l'accaparaient complètement à Paris, et les vacances universitaires lui laissaient le temps, maintenant qu'il avait le grand atelier de Ty Yann, d'y peindre l'été.

A l'occasion de travaux importants, comme ceux pour l'inauguration du Palais de la découverte, il était toujours possible de louer un atelier face au cimetière, en haut de la rue Froidevaux. C'était un hommage aussi mérité qu'intéressant à Jean Perrin, l'inventeur de ce palais révolutionnaire (Mozart au clavecin, ci-contre).

Pendant l'occupation, ayant une seconde fois abandonné les sciences pour se consacrer à la peinture (Voir articles précédents), il va disposer de l'étage entier. Il y installe un atelier de peinture dans une pièce, puis dans une seconde. A la libération, il a un bel atelier face au sud (les vitres ont été dépolies pour atténuer le rayonnement solaire). Le couloir a été dévié pour permettre un agrandissement compatible avec la circulation dans l'appartement. Celui-ci est ainsi organisé en deux parties distinctes, l'appartement de droite étant maintenant réservé à la peinture, à l'exception de la salle de bains et d'une chambre, indispensable à la famille (qui comptera parfois deux couples d'enfants).

C'est dans cet atelier que le peintre produira toutes ses compositions à partir de ses toiles bleues et rouges (ci-contre la vocation maritime ). Il a, on s'en souvient, depuis longtemps abandonné le tableau sur le terrain, ainsi que dans l'atelier de Ty–Yann, qu'il doit, d'ailleurs laisser dès 1951 à la suite d'un partage d'héritage. En effet, la maison de Jean revient à Francis et celle de Louis , Roch ar Had (Le « Rocher au Lièvre ») à Charles. La Bretagne sera le lieu privilégié pour la recherche des impressions, en grande partie maritimes, l'atelier de Paris pour la création dans le souvenir et l'exploitation de ses notes.
Mais l'appartement « du côté de Charles » était, en réalité, plein de mystère pour toute personne étrangère aux très rares connaisseurs, telle Elmina Auger, vieille amie qui suivait sa carrière de près, et qui avait toute sa confiance. Cela tenait au caractère très secret de mon père, qui n'admettait jamais la moindre allusion, le moindre conseil. L'inspiration venait de lui, de lui seul ! Malheur à qui se hasardait à pénétrer sa vie intérieure (j'en ai cité quelques exemples dans un autre article).


Par contre, quand il était disponible, nul homme plus ouvert que lui, plus apte à accepter le jugement d'un jeune amateur dans la fraîcheur d'une première impression (d'ailleurs il faut le dire, pleine d'admiration). Mais les toiles étaient finies, bien sûr. Il m'a fallu l'expérience de la création poétique pour réaliser que cet isolement, ce secret sont en réalité absolument nécessaires jusqu'à l'achèvement de chaque œuvre, quelle qu'en soit l'importance, car chaque fois le compositeur, peintre ou poète, joue sa vie. Ce n'est qu'une fois l'œuvre achevée qu'il est utile de savoir l'effet qu'elle produit .Avant cet achèvement, la moindre interférence extérieure est susceptible de tout compromettre, à commencer par la réputation de l'artiste.

Ce qui pouvait être attribué au caractère difficile, souvent intraitable de mon père était, en réalité une propriété générale, ignorée du commun des mortels. Le « côté de Charles » était bien trop secret pour être fréquenté par la famille ou les amis. C'était le « côté d'Aline » qui était le centre de la vie. Mais, ce qui ressemblait à un étrange parfum de mystère semblait flotter dans tout l'appartement. Etaient-ce les senteurs lointaines, imperceptibles de la peinture ? Etait-ce la présence elle-même d'un domaine inconnu, où l'imagination pouvait cheminer, autour d'une vague idée, comme « la chasse au tigre » ou « régates de Dragons ou de Requins », ou de telle ou telle représentation de « marée basse » ou de « tempête en mer », ou encore de « lagune à Venise » ? Cela était variable, impalpable, indescriptible…

En entrant, un long couloir séparait le côté cour, au Nord, du côté Sud. Au Nord, la cuisine, la salle de bains, où une bibliothèque construite par Charles depuis les années 28 peut être, s'appuyait sur une robuste paroi en carton, également de construction maison, face à une antique baignoire en zinc, prolongeait une grande chambre, utilisée parfois par Aline pour sa peinture, après avoir logé une partie de la famille. Au Sud, face à cette chambre, une ancienne chambre d'enfant, devenue ensuite celle d'Aline, puis un séjour de deux pièces formant salon- salle à manger. Charles dormait et lisait le soir dans le salon, séparé par un rideau de la salle à manger, où une table à rallonges permettait d'accueillir de nombreux invités. Un vaisselier ancien d'un côté, de l'autre un piano. Sur les murs de nombreux Rouen et Moustier donnaient une atmosphère ancienne et distinguée, et seul un œil averti pouvait déceler les fêlures qui avaient permis de les acheter.

C'était là que l'artiste jouait au piano tous les jours à 9 heures et à 14 heures un bon quart d'heure comme pour se dégourdir les doigts avant de saisir le pinceau, comme pour s'imprégner de cette grande musique qu'il admirait. Quand ses fils étaient là, François prenait le cor d'harmonie ou le trombone et Georges le violon, pour jouer des airs d'opéra de Haendel ou de Mozart (le plus souvent la Flute enchantée) . Charles avait une vraie passion pour les instruments, et particulièrement pour les cuivres (il avait d'ailleurs pris des leçons de cor), ce qui n'empêchait pas un basson de figurer dans un coin de son atelier.
Une ambiance musicale inhabituelle semblait entourer ces brèves séances d'amateurs, comme pour amplifier chaque jour l'inspiration dans l'âme du peintre. En effet, le quatrième étage était entouré, au cinquième par les sons du premier flûtiste à l'opéra, qui s'appelait Lavaillotte, et, plus tard, au troisième, par la présence de la grande amie d'Aline, Marguerite Chavannes et de son mari, Léon Combrisson, respectivement violoniste et hautboïste de formation et anciens concertistes.

La plaque, au mur d'entrée de l'immeuble, dédiée à Charles Lapicque, devrait, en toute justice l'être à tous les hommes et femmes célèbres à divers titres, qui ont vécu au maintenant célèbre N° Quatre. Ils étaient tous amis intimes ou parents :

  • Jean Perrin (après la mort de sa femme Henriette en 1937),
  • Francis Perrin, futur Haut commissaire à l'énergie atomique, sa femme Colette Auger, soeur du grand physicien Pierre Auger et leurs enfants Nils, David et Françoise,
  • Charles Maurain, géophysicien et futur doyen de la faculté des sciences;
  • Emile Borel et sa femme Camille Marbo, romancière et directrice de la société des gens de lettres,
  • Fred et Irène Joliot-Curie, plus tard remplacés par leur fille Hélène, physicienne au centre d'Orsay…

La plaque ne dit pas, non plus, le rôle tenu par Charles et Aline dans la Résistance ni qu'ils figurent sur la liste des justes (voir cette rubrique).

Elle ne remarque pas que ce lieu était, en sorte, une réplique du paradis estival de l'Arcouest, où l'on pouvait continuer de se voir au sein du monde de l'intelligence parisienne sans oublier le temps des vacances au bord de la mer. Elle ne décrira jamais les réveillons de Noël de tant d'amis dont la présence doit être encore dans les murs du cher appartement. Elle ne pourra jamais y faire entendre les Passions de Bach, l'oratorio de Noël ou le Messie de Haendel, ni tout l'amour du Souvenir qui, face au bruit de la rue y chante encore dans le silence de l'éternité.

L'Histoire passe, mais l'Art demeure.

voir aussi :
Lapicque et le tennis
Lapicque et la mer
Lapicque et la marine
Lapicque et la musique
  Georges Lapicque, fils aîné du peintre
© Tous droits réservés 2007

 

NOTA : Georges LAPICQUE, ancien officier de Marine (Ecole Navale 1941-Londres-) puis ingénieur chercheur au Commissariat à l'Energie Atomique, est, sous le nom de Jean de Lost-Pic, auteur de six recueils de poésie de forme classique. Il est président de l'Académie de la Poésie Française, directeur littéraire de la revue trimestrielle l'ALBATROS (Ed. ARCAM PARIS). Accédez à son site


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